Les Vanes
« Il s'agit, on se le rappelle, d'une des deux (trois peut-être si l'on inclut aussi les alfes) grandes « familles » de dieux que connaît la mythologie scandinave ancienne. [...] Dans son Edda en prose, Snorri Sturluson tient à les voir comme initialement antagonistes des Ases (æsir, sg. áss) auxquels il confère valeur juridico-souveraine, les Vanes régissant la troisième fonction. [...]
Toutes nos sources concordent pour nous donner les Vanes comme protecteurs de la prospérité, de la fertilité-fécondité, de l'amour, du plaisir, du « bonheur », c'est même la seule « famille » divine qui se prêterait sans trop de difficultés à une lecture dumézilienne stricte. Ils apportent la paix, la richesse, l'abondance même, entendons qu'ils décident du soleil et de la pluie. Ils existent en étroite collusion avec les éléments indispensables à la vie brute, l'eau et la terre notamment. A ce titre, ils ont pu donner lieu à un culte de type processionnel bien attesté déjà par Tacite ou par un récit islandais comme l'Ögmundar tháttr dytts que nous avons rencontré plus haut dans ce livre à propos du hieros gamos. Culte qui ne va pas sans évoquer très fortement nos Rogations : promener la statue (ou sa représentation) de la divinité par les champs revient à « fertiliser » les lieux en appelant la bénédiction divine dessus. [...]
Si je tiens les Vanes pour fondamentaux, représentants de la couche la plus ancienne des mythes dont s'est progressivement constituée la religion scandinave ancienne, c'est précisément parce qu'ils sont en relations étroites avec le cheval, conquête indo-européenne, raison sans doute de leur suprématie et, en tout cas, témoins de leur précellence. Ou, pour m'exprimer autrement : le cheval, apanage des Vanes, nous oblige à remonter à une époque très reculée qui serait aussi celle où régnait la Déesse-Mère. D'autant que cet animal - et nous voici de nouveau à l'intérieur de ce cercle comme inéluctable - et lié aussi bien au combat qu'à la prospérité vitale et à la mort. Je ne veux pas parler ici de substitut de la Grande Mère, mais de figuration symbolique et immédiatement expressive. [...] Pour la mort, rappelons que, dans toutes nos mythologies indo-européennes, le cheval est le grand psychopompe, ce dont témoigneraient, s'il en était besoin, les gravures rupestres de l'âge du bronze scandinave où cet animal partage de telles fonctions avec le bateau. »
Régis Boyer "La Grande Déesse du Nord".